Des miettes de vie numérique

« Il nous a quittés ».
Cette simple phrase, que ne l’ai-je trop entendue ces dernières années, lue, prononcée aussi, malheureusement.
Conjuguée au féminin, au masculin, aux jeunes années comme aux rides prononcées, quatre tout petits mots, quatre mots seulement mais quatre mots qui pèsent plus lourds que bien des chapitres entiers.
Quatre mots que j’aimerais bien, si la vie n’était pas si chienne, ne plus croiser.

Oui, qu’elle m’oublie un peu, la vie tiens, ça me ferait des vacances.
En même temps, je ne suis pas stupide (enfin pas A CE POINT) et je me doute bien que plus on avance, plus cette cochonnerie de phrase vient vous pourrir l’existence.

Une petite phrase de rien du tout, insignifiante, ridiculement anodine.
Parfois elle ne touche que de loin, même si ça nous semble proche sur le moment, Annie est partie et ironiquement, c’est une part de la mémoire collective qui disparaît avec elle, qui ne se souvenait pourtant même plus avoir été un jour Girardot.
Nos souvenirs d’enfance, nos premiers films en famille devant l’énorme télé en noir et blanc et ses trois seuls gros boutons.

A une époque où il fallait lever ses fesses pour changer de chaîne, et être patient à l’allumage.
A une époque aussi, où le téléphone en bakélite était unique, et que téléphoner se programmait tout autant que de regarder les dossiers de l’écran.

Le « elle nous a quittés » ici, résonne de manière lointaine, on y pense, on a un petit serrement de gorge, ça pique un peu les yeux, et puis ça passe.

Ce sont les autres « il nous a quittés », ceux qui nous marquent de manière indélébile d’une petite ou grande souffrance selon le degré d’amour, de souvenirs partagés, ce sont ceux-là qui m’ont fait prendre conscience que notre époque, remplie de tous ces outils qui nous connectent les uns aux autres, rendait les départs encore plus cruels.

Que vais-je faire de ce profil facebook où ce visage parfois souriant, parfois juste pensif me regarde encore et où le dernier statut s’affiche comme un ultime clin d’œil ?
Que dois-je faire de cette fenêtre msn sur laquelle je n’ai pu m’empêcher de cliquer et qui s’ouvre avec un « IL est hors ligne, les messages que vous lui envoyez lui seront remis à sa prochaine connexion », un « Que de nouveautés ! » enjoué et émerveillé en profil, qui fanfaronne d’avoir su dompter l’outil du futur ?
Que puis-je faire de ce numéro de portable, toujours au chaud parmi mes contacts, que parfois j’aurais envie d’appeler juste pour entendre sa voix, jusqu’au jour où le numéro serait attribué à nouveau, à un autre « IL » ou à une autre « ELLE ».

Que faire de ces miettes de vie numérique qui parsèment mon quotidien sans que je les y ai invitées, de toutes ces traces éparpillées.
De mon écran d’ordinateur à mon téléphone portable, que faire de tous ces visages, de ces exclamations, de ces sourires affichés et ces découvertes enthousiastes, de tous ces moments passés ?
Que faire de ces présences numériques qui veillent encore dans leur espace virtuel, fantômes bienveillants, erstaz de celui ou celle qui est parti et que je ne réussis pas à effacer.
Appuyer sur supprimer, les bloquer serait comme les faire partir une seconde fois.
C’est au dessus de mes forces.

Et en même temps, m’infliger cette liste où ces ILS et ces ELLES sont de plus en plus nombreux au fil des années me rappellent justement, à quel point ils sont partis.

Cruel paradoxe.

De là, mon esprit m’amène à me poser la question, et si moi, demain, j’étais cette « ELLE » qui partait, que mon tour venait ?
Que deviendraient mes miettes de vie numériques que j’ai semées sur ces pages et ailleurs ?
Mes amis, mes proches devraient-ils les garder comme un souvenir de plus ? Ou bien le propre d’un blog étant d’être un instantané du quotidien, tous ces mots conjugués au présent n’en deviendraient-ils pas d’un effroyable cynisme ?
Quelqu’un aurait-il le courage d’appuyer sur « supprimer » ou bien faudrait-il laisser toutes ces phrases comme autant de sourires à consulter à volonté ?
Même vidés de leur présent ?

Ce n’est pas une réflexion triste, un poil mélancolique peut-être, c’est surtout un questionnement sur tous ces outils d’aujourd’hui qui nous rapprochent ou sont supposés le faire.
Toutes ces techniques qui nous permettent de hurler au monde entier tout ce que nous faisons au moment où nous le faisons, et même où nous le faisons, et qui finissent parfois par devenir de bien douloureux rappels.
L’image d’un mouvement arrêté en plein vol, comme figé pour toujours entre quelques lignes de code, et que je ne peux me résoudre à effacer.

Dom

Le truc en plus : Le jeune homme malingre qui porte cette fillette à l’air déjà buté, c’est mon père.
La chose qui se retient de pleurer tout en s’interrogeant sur le pourquoi de ce qui se passe, c’est moi.
A l’âge où certains se cherchent encore, lui s’est retrouvé à devoir s’occuper de boucles blondes, d’un (déjà) sale caractère, le tout emballé dans une petite fille très entêtée qu’il n’avait pas vraiment prévue.
Je regarde ces jambes trop frêles, ces genoux trop cagneux, cette pose trop empruntée, ces cheveux trop en brosse, et je contemple souvent ce sourire à la fois fier et bien décidé devant l’objectif, quand je le veux.

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23 commentaires à “Des miettes de vie numérique”

  1. Ginie et son paillasson dit:

    Pfffffiou…
    Dur dur de commenter avec les yeux incontinents.
    Donc je t’embrasse, c’est tout.

  2. cleopat dit:

    pas facile de trouver les bonnes paroles, car je ne trouve que des maux !
    peut être qu un jour ces données s effaceront d elles mêmes, un bug de plus! une sorte d acte manqué ?un adieu finalisé!
    moi aussi je t embrasse car ta mélancolie m attriste

  3. shalima dit:

    Je me posais la même question, moi aussi, l’autre jour… je n’ai pas la réponse, à vrai dire je n’y ai pas encore été confrontée, ou alors « de loin ». Ceci dit, je me connais, je suis quelqu’un de nostalgique, ce serait trop dur de tout effacer en coupant juste un fil. C’est du code, des 1 et des 0, des pixels, mais ce sont des traces de vie, aussi. Après tout, on ne brûle pas nos vieilles photos…
    Bisous et câlin aussi, tiens :biz

  4. Dom dit:

    Ginie : Comment dire, je n’ai pas cherché à faire pleurer ceux qui viendraient lire ce billet, même si encore récemment j’ai été touchée par un départ de plus, ce sont des questions qui tournent souvent, et que j’ai simplement voulu partager, pour en trouver des réponses. Comme souvent ici.

    Cléopat, comme Sham, je suis d’une nature assez mélancolique et j’ai viscéralement la conscience du temps qui passe, pourtant, je crois que savoir vivre le présent tout en n’oubliant rien du passé est une bonne chose. Donc pas de tristesse, juste une pause.

    Shalima : Question que nous nous poserons sans doute, tous, de plus en plus, notre mode de vie s’y prête, nos modes de communication aussi, on ne brûle pas les vieilles photos, on choisit juste de les ressortir de temps à autre. Ces traces là, les numériques sont plus insidieuses car elles s’imposent souvent d’elles-mêmes.
    Et moi aussi, je t’embrasse (bientôt en vrai, by the way)

  5. Okatarinabella dit:

    Gorge serrée …..
    Très belle photo ….
    Bisous forts

  6. Océane dit:

    Voilà, je vais me rappeler les paroles récentes d’une sage, et puis me contenter de te dire que j’apprécie ce texte, au point que je ne sais quoi y répondre tant il me touche.
    Je me suis rendue compte que j’existais numériquement, quand des personnes m’ont effacé d’office de leurs 2.0 : c’est bizarre, étrange, presque douloureux car tu ne peux rien faire, ni les toucher du doigt ni les regarder te quitter. C’est le vide soudain, un trou noir dans lequel on te bascule… ça n’a pas forcément un rapport direct avec ta réflexion, quoique…
    Bise et pensées.

  7. cicirena dit:

    Je n oublierais jamais ses caresses dans mes cheveux pendant que je buvais mon chocolat chaud le dimanche
    Je n oublierais jamais sa voix me chantant « on dirait que ça t’gêne de marcher dans la boue ! »
    Je le revois dans son jardin fier de ses salades et carottes
    Je le revois glisser son mouchoir dans sa poche
    Je ne l oublie pas
    Je ne peut plus entendre sa voix me répondre
    Mais j espère que de là où il est il me voit, et j espère qu il en est ainsi pour tous ceux qui ne sont plus parmi nous
    Des câlins doux à vous tous dont un proche manque

  8. JR dit:

    On ne brûle pas les photos, on les range, ou on les expose d’ailleurs… Très peu de photos chez ma mère, mais en général, peu après la mort des gens, elles apparaissent…

    C’est vrai qu’on laisse beaucoup plus de traces qu’auparavant…

  9. vannina dit:

    J’ai perdu un ami mort à 48 ans d’une crise cardiaque brutale il y a 15 jours et de le voir souriant à la vie sur son profil facebook est ce qui me perturbe le plus,je ne peux pas m’empecher d’aller voir comme si il allait revenir.
    Il a l’air très jeune ton papa sur la photo.

  10. Missfricadelle dit:

    Que dire, que répondre ?
    Lorsqu’il nous a quitté, j’ai gardé son numéro 3 ans dans mon portable, pour ne pas oublier, pour avoir l’impression qu’il n’était en fait pas seul alors que ceux qui l’ont tué l’ont laissé agoniser sur le bord d’une route…
    et puis après 3 ans, je l’ai effacé.
    Parce que le souvenir que j’ai de lui dans mon esprit me suffit, et parce qu’il faut bien tourner la page.

  11. margaux33 dit:

    que de mélancolie . je n’avais pas d’ordi quand ceux que j’aimais sont partis. il me reste des photos comme celle que tu nous montre.

  12. Alexia dit:

    :-( j’ai composé son n° pendant 2 ans, pas souvent, mais régulièrement…. j’ai écouté sa voix… je n’ose plus… j’ai peur qu’il ait été attribué à quelqu’un d’autre, mais en même temps je ne résouds pas à l’effacer…

    Chienne de vie, et pourtant…

  13. Mnêmosunê dit:

    Je sais pas quoi dire. C’est beau ce texte, ça m’interpelle.
    Malgré mon jeune âge, j’ai entendue cette phrase bien (trop) souvent.
    Ceux qui sont partis n’étaient pas passés « au numérique ».
    Je ne sais pas comment je réagirais aujourd’hui, si cela devait arriver…

    Bibis

  14. Dom dit:

    Oka : Bisou too.

    Océane : Si je te comprends, et je l’ai vécu aussi, mais dans ces moments là tu te tournes alors vers ce que le progrès a encore fait de mieux, la vie 2.0, celle là aussi ment, triche, trompe, mais moins. enfin je trouve.

    Cicirena : Une présence, une ombre, un souffle de vent dans les arbres, une étoile la nuit qui clignote plus que les autres, il est là.

    JR : la mémoire cette chienne, efface petit à petit les visages, estompe les traits, les photos sont ce qui se fait de mieux pour garder le souvenir intact, et le rendre plus vivant, on n’est d’autant plus en souffrance quand on en est privés.

    Vannina : C’est comme une présence qui rassure, oui. (et mon père m’a conçue à un âge où il aurait du aller draguer les filles en boite, fumer des pétards et brûler un peu la chandelle)

    Miss Fricadelle : Tourner la page, oui, le souvenir ? Je ne sais pas si cela me suffit, mais au delà de ça, certaines de ces miettes numériques ne s’effacent pas, que ferai-je quand FB me souhaitera un anniversaire ? Me rappelera qu’il y a longtemps que je n’ai pris des nouvelles d’Elle ?

    Margaux 33 : Et c’est bien la le plus suffisant. Ces images qu’on sort, à volonté.

    Alexia : Chienne de vie, et pourtant, que de ciel bleu !

  15. Dom dit:

    Mnêmosunê (celle dont le pseudo est le plus compliqué à recopier, la vache). Je te souhaite vraiment que le plus de temps possible s’écoule avant que tu ne sois confrontée à cette réalité là. Vraiment.

  16. Ca c'est dit ! dit:

    En novembre, IL nous a quittés. Alors qu’une semaine avant, il nous avait envoyé un diaporama où il racontait ses problèmes de santé et où il disait en point final :
    « Refaire sa vie demain, après demain et pour de longues années encore, ça doit être ça, la fureur de vivre. »

    Aujourd’hui, son mur FB vit encore un peu, régulièrement, quand des personnes ressentent le besoin de dire un mot, de partager une image, une chanson qu’il aimait bien ou qu’il aurait aimée.

    Je crois que le plus dur à vivre, ce sera cet été où son absence sera encore plus présente, lorsque nous verrons la famille au bord de la mer. Lui qui passait dès la fin de matinée faire un coucou et prendre des nouvelles.

  17. Phileas dit:

    je n’ai pas encore de disparus physiques dans mes listes, seulement des disparus virtuels, mais en effet, je me pose aussi les mêmes questions…

  18. sophie P dit:

    Je me suis posé cette question de la mort réelle et des miettes numériques il y a un an environ. Un de mes contacts « Copains d’avant » est décédé, oh pas un ami très proche mais un ami d’enfance que j’avais perdu de vue et on avait commencé à reprendre contact. Je ne peux pas me résoudre à l’effacer, ce serait quelque part ne plus le respecter, comme s’il n’avait jamais existé. Je regrette qu’on n’ait pas eu le temps de se revoir et en même temps, je me dis que son décès m’aurait sans doute plus affecté si ça avait été le cas…

  19. difrarel dit:

    je viens de perdre mon beau frère de 34 ans…..
    c’est dur
    très bel article

  20. emanu124 dit:

    Ils nous rapprochent et nous éloignent à la fois.
    Une chose est certaine, ils ne remplaceront jamais ceux qui ne sont pas/plus là.
    Ils nous les rappellent juste, de temps à autres
    C’est déjà pas mal

  21. Pat à Toulouse dit:

    J’ai gardé la petite cassette de son répondeur, à l’époque il n’y avait pas de numérique, et de temps en temps, je la mets dans son vieux dictaphone et je l’écoute dire qu’il n’est pas là, et qu’on peut laisser un message… et je pense à ce que j’aimerais lui dire, là, maintenant.

  22. Calpurnia dit:

    Pour moi, ils sont encore là.
    J’entends encore leurs voix, je me souviens de leurs visages, de leurs expressions, ils viennent parfois me visiter en rêve, et je regarde les photos…
    Le problème c’est que le temps passant, ils sont de plus en plus nombreux et qu’avec eux, c’est un peu de nous qui s’en va aussi…

  23. miss Julie dit:

    Mouais, comme tu dis, arrive un cap où les départs se font de + en + nombreux. Preuve incontestable qu’une vie, c’est vite passé!! Chose dont je n’avais absolument pas conscience, il y a 10 ans par ex. A cette époque, je n’étais qu’insouciance.

    Et pour rebondir sur le coté numérique de ta note, bizarrement, il n’y a pas si longtemps, je me suis fait la réflexion inverse. J’avais envie de créer un profil FB d’une personne qui m’est chère et plus là…Comme si ça allait la faire revivre un peu.

    Et si jamais certaines personnes la cherchaient …? J’aurais pu rentrer en contact avec elles. Je ne me suis tjrs pas décidée car parallèlement, ça réveille aussi bcp de trucs tjrs aussi douloureux 5 ans après. A voir…

Vas-y exprime toi :

:mute :mof :lol :grr: :cl :biz :Hoo :Angel :8-) :-D :-) :-(